Observatoire des médias sociaux en relations publiques

Fiches de lecture

Relations publiques de crise: une nouvelle approche structurelle de la communication de crise

Heiderich, Didier et Nathalie Maroun. 2014. Relations publiques de crise. Une nouvelle approche structurelle de la communication de crise. Magazine de la communication de crise. Observatoire Internationale de crise. <http://www.communication-sensible.com/download/Relations-publiques-de-crise.pdf>. En ligne.

Résumé de l’auteur

Face à la complexité croissante des crises, à la défiance des publics, la vitesse de propagation de l’information, à la structure protéiforme de l’opinion, la communication en situation de crise ne peut plus se satisfaire d’une réponse linéaire, mécanique, mais demande une approche nouvelle en phase avec les nouveaux paradigmes de la société.

Fiche de lecture réalisée par Sophie Chavanel

Mots-clés


Communication de crise, publics, relations publiques, Autorisation d’exercer par le corps social.

Mise en contexte


Didier Heiderich est président du prestigieux Observatoire International des Crises (OIC) et fondateurs des concepts et méthodes en communication sensible. Natalie Maroun, Ph.D, est Analyste et Directrice du Développement de l’OIC et spécialisée en questions internationales, situations extrêmes et enjeux complexes. Les deux auteurs et praticiens des relations publiques de crises proposent dans ce texte une nouvelle façon de faire en se basant sur trois constats de base : les principes et méthodes de la communication de crise sont obsolètes, il n’y a plus un seul mais plusieurs publics acteurs dans les relations publiques de crise et enfin, il est nécessaire d’établir un lien de confiance exigeant une réponse relationnelle à une crise. L’argument principal du texte est basé sur un nécessairement changement de paradigme pour passer de la communication de crise, dite classique, vers les relations publiques de crise.

Revue de littérature et cadre théorique


Dans un bref historique, les auteurs rappellent que bien que la communication de crise soit, somme toute, bien jeune, née il y a à peine 20 ans, sa vision initiale faite de communiqués de presse, de prises de parole, de messages clés, et de passages savamment orchestrés dans les médias est obsolète. Le contexte communicationnel actuel marqué par la pluralité des acteurs confrontés à la crise, des oppositions, le morcellement de l’opinion, la généralisation des réseaux sociaux et des affrontements, exigent des réponses à la fois globales et d’une précision extrême. Les auteurs rapportent d’ailleurs les propos de Thierry Libaert (2013) pour qui la communication d’entreprise devrait faire retour aux fondements et redécouvrir la notion de relation dans ses aspects d’échanges, de concertation, voire même de confrontation avec ses publics. Pour en rester sur les fondements, les auteurs mentionnent au passage la théorie du two-step flow de Katz et Lazarsfeld (1995) selon laquelle il ne suffit plus de s’adresser aux médias et de convaincre des leaders d’opinion, pour qu’une communication de crise soit effective. Sans que cette théorie ne soit complètement écartée, le contrat communicationnel a muté, selon les auteurs, vers une co-construction où chacun est acteur de la communication. De plus, expliquent les auteurs, toute action identifiée comme un jeu de la communication est immédiatement rejetée par les publics, notamment parce que une organisation en crise manque souvent et singulièrement de légitimité pour exprimer de l’empathie pour les victimes. Selon les auteurs, cette légitimité ne se trouve plus dans des mots, mais dans des actes liés à la gestion de la crise et la relation avec les personnes impactées par la crise. À partir de ces constatations, Heinderich et Maroune défendent la nécessité de baser les relations de crise sur la construction d’un lien de confiance eTrust, plutôt que sur la défense de la réputation eReputation, à travers d’intenses transactions avec les différents publics. Sans l’établissement de ce lien de confiance, il est impossible selon les auteurs, d’obtenir un comportement coopératif et de remplir les objectifs fixés par la gestion de la crise : alerter, protéger, reconstruire et mitiger les risques.   Ceci étant-dit, les auteurs ne nient pas complètement l’utilité des communications crises classiques et admettent que certaines crises exigent des actions conjuguées en fonction des différents publics.

Démarche méthodologique


Dans un amalgame des fondements théoriques des relations publiques et de la communication de crise, d’expérience professionnelle ainsi que d’un ensemble d’article publiés dans le magazine communication sensible, c’est en adoptant une approche heuristique, qu’Hienderich et Maroune articulent une opérationnalisation des concepts (Autorisation d’exercer par le corps social, publics prioritaires, publics secondaires) de ce qu’ils affirment être une nouvelle ère de la communication de crise, celle des relations de crise.

Résultats


En se basant principalement sur les concepts développés dans la théorie de la communication sensible, les auteurs se basent sur le fait que les enjeux actuels de communication exigent un nouveau contrat de communication en situation de crise, fondée sur la co-construction de sens. Cette nouvelle approche des relations publiques de crise plus discrètes, plus en lien avec les parties prenantes, plus en rapport avec la crise. Autorisation d’exercer par le corps social Parmi les concepts opératoires qui se trouvent au centre de l’approche de relations publiques de crises, celui d’autorisation d’exercer par le corps social (Social License to Operate – SLO) selon lequel la capacité d’une organisation de résister à une crise dépend fortement le la relation qu’elle entretient préalablement avec ses publics. Née dans les années 90 aux États-Unis, cette démarche qui s’inscrit dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et comporte un ensemble de méthodes et moyens destinés à : Faire connaître l’entreprise et ses spécificités auprès de groupes sociaux identifiés. Légitimer la possibilité d’un débat sur un sujet controversé et le rôle de l’entreprise dans ce débat. Crédibiliser les propos de l’entreprise dans le débat, ceci auprès de groupe sociaux spécifiques, par la relation avec ces groupes sociaux. Créer la confiance et obtenir ainsi le soutien de groupes sociaux ou du personnel politique, notamment en cas de crise. Les auteurs précisent toutefois qu’en situation de crise, l’organisation impactée n’a pas généralement pas besoin de se faire connaître ou de mettre en avant un sujet étant donné que les événements s’en chargent. Identification des publics La notion de publics est centrale en relations publiques et celle de publics prioritaires est centrale en relations publiques de crise. Les auteurs soulignent en effet que la plupart des crises ne concernent pas forcément un large public. Il faut également se souvenir, préviennent les auteurs, que les pics médiatiques interviennent généralement dans certaines phases d’une crise, principalement dans la phase émotionnelle et dans les rebondissements. Et ce n’est pas parce qu’une crise n’a plus d’impact médiatique qu’elle est pour autant terminée. Il est donc nécessaire de se rappeler que la relation avec les médias en situation de crise, constitue, non une stratégie, mais une opération destinée à s’adresser à des publics déterminés. Il serait toutefois, toujours selon les auteurs, une erreur de chercher à établir une relation avec tous les publics en situation de crise, voire nuisible de légitimer ainsi tous les publics. Ceci rend donc pertinent de maintenir une part de communication de crise classique destinée aux commentateurs ou spectateurs et dont le principal objectif est d’éviter qu’ils nuisent à la réputation de l’organisation en crise. Si l’indentification des publics est nécessaire, les auteurs mettent toutefois en garde de surévaluer l’importance des leaders d’opinion et la multiplication des sources d’interpellation à travers les médias sociaux. Pour se faire, ils proposent la typologie suivante. Dans l’approche des relations publiques de crise, il y a deux grands types de publics à considérer : les publics prioritaires et les publics secondaires. Selon cette logique, les publics prioritaires doivent être engagés en relations de crises alors que les publics secondaires peuvent être engagés dans une approche plus classique de la communication de crise. Les publics prioritaires des relations de crises sont ceux impactés par celle-ci. Pour illustrer l’importance de ce public, les auteurs citent d’ailleurs l’exemple de la NASA qui, dans le cadre d’un décès survenu au travail, c’est la famille qui doit être informée en priorité et ce avant même la Maison Blanche. Voici la typologie proposée par les auteurs : Publics prioritaires

  • Public privés : publics directement parties-prenantes de la crise tels que les victimes et les services spécifiques de l’État;
  • Publics protégés : groupes sociaux en prise avec la crise, dont l’influence est conséquente sur la crise tel que le voisinage et les élus;
  • Publics concernés : publics en proximité socioculturelle avec la crise telle que les organisations professionnelle ou les syndicats.

Publics secondaires;

  • Publics commentateurs : publics non impactés qui vont commenter la crise, voir commenter la communication de crise.
  • Publics observateurs : publics non impactés spectateurs de la crise.
  • Publics apathiques : publics sans intérêt.

Modalités relationnelle Dans la dernière partie de l’article, les auteurs identifient les modalités relationnelles à adopter selon les publics.  Il est à noter que ces modalités sont également influencées par le nombre de personnes et la légitimité dont bénéficie l’organisation qui lui permet d’entrer en relation. Les auteurs appellent également à prendre en compte la vague d’émotions qui marque généralement la phase aigüe d’une crise et au cours de laquelle nombre de messages ou de volontés relationnelles ne sont pas audibles. L’approche par les relations publiques de crise impose de s’adresser (ou non), aux publics prioritaires, et d’informer ou à tout le moins de mettre sous surveillance les publics secondaires afin de limiter les effets de masse. D’une part, pour approcher les publics prioritaires, tout particulièrement les publics privés, la relation doit être prioritaire, très directe, personnalisée, privée voire même intime, dans le but d’établir une relation de confiance. Il est aussi primordial de connaître la perception de la crise des publics privés ainsi que leur vision des solutions ou actions à poser. Pour les publics protégés, il est préférable selon les auteurs de favoriser une relation de groupe spécifique et personnalisée pour tenter d’en faire des alliés dans la gestion de crise. Enfin, les publics concernés doivent être informés de façon spécifique et on doit répondre à leurs interrogations afin d’en faire des alliés potentiels et en faire des influenceurs. D’autre part, du côté des publics secondaires, les publics commentateurs doivent être mis sous surveillance. Cette place autrefois réservée aux personnalités médiatiques est aujourd’hui occupée par une multitude d’acteurs sur les réseaux sociaux. Si un principe de la communication de crise est d’éviter de légitimer des publics non prioritaires, il n’en demeure pas moins que ces publics peuvent avoir de l’influence et orienter les débats autour de la crise. La modalité relationnelle privilégiée avec ces publics est l’information publique de crise afin de limiter les commentaires et décrédibiliser les opposants. Pour les publics spectateurs l’information générique et le two-step-flow devraient être la modalité relationnelle privilégiée, mais au lieu d’avoir pour intermédiaires les médias ou des leaders d’opinion identifiés préalablement, ce sont les publics prioritaires qui permettront de forger leur opinion. Enfin, les publics apathiques étant sans intérêts, aucun effort de relation ou d’information n’est nécessaire.

Discussion : pistes de réflexion


Le modèle de relations publiques de crise proposé par Heiderich et Maroune est particulièrement intéressant pour approcher la communication de crise à l’ère des médias sociaux et les concepts opératoires de publics prioritaires et secondaires, offrent des outils d’analyse pertinents pour observer les stratégies de communications des différents acteurs en contexte de crise.