Observatoire des médias sociaux en relations publiques

Fiches de lecture

Usages des NTIC: les approches de la diffusion, de l’innovation et de l’appropriation (1ere partie)

Millerand, Florence. 1998. Usages des NTIC: les approches de la diffusion, de l’innovation et de l’appropriation (1ere partie). Commposite. 19 p.

Résumé de l’auteur

Les recherches réalisées dans le domaine des usages des médias et des technologies se caractérisent par une grande variété, à la fois dans les objets de recherches privilégiés, les problématiques développées et dans les positions théoriques qui les fondent. L’auteur livre dans ce texte une synthèse présentant trois approches de l’étude des usages, à savoir l’approche de la diffusion, l’approche de l’innovation et l’approche de l’appropriation. Pour chacune d’entre elles sont précisés : le contexte intellectuel qui les a fait émerger, les postulats sur lesquels elles sont basées, et le paradigme dans lequel elles s’inscrivent. Le modèle de l’usager à l’œuvre ainsi que les différentes acceptations de la notion d’usage sont également dégagés de façon à mettre à jour les divers clivages théoriques et méthodologiques existant entre ces approches.

Fiche de lecture réalisée par Sophie Chavanel

Mots-clés


usages, usagers, médias, technologies, diffusion, innovation, appropriation, théories, modèles.

Mise en contexte


Rédigé dans le cadre de ses études doctorales, ce texte de Millerand qui comporte deux parties publiées séparément, présente sous forme synthétique, les grandes écoles de pensées des études de la communication et leurs principaux débats. Dans la première partie, Millerand présente les principales notions de la sociologie des usages :usages, déterminisme technique et social, quotidienneté, adoption, typologie des usagers, ainsi que deux des principales approches, la diffusion et l’innovation.

Revue de littérature et cadre théorique


Millerand s’inspire principalement des écrits de Chambat (1994), sur l’évolution des problématiques des usages des technologies de l’information et des communications (TIC). Parmi les autres auteurs centraux du texte, Michel de Certeau (1990), précurseur de l’approche de l’appropriation, qui s’intéresse aux pratiques quotidiennes et tente de comprendre l’écart entre l’approche dominante et ce que s’approprient effectivement les usagers. Sont mentionnés également comme auteurs pilliers : Flichy (1995) et Akrich (1993) pour leurs travaux sur l’innovation technique, ainsi que Proulx (1994; 1996) qui propose une relecture des travaux de Certeau.

Démarche méthodologique


La démarche méthodologique favorisée par Millerand est une recension des écrits afin de faire état des différentes théories et méthodologies utilisées dans le domaine de la sociologie des usages. Dans une démarche en trois temps, l’auteur structure son texte en se basant sur le canevas de Chambat (1994) qui distingue trois approches principales de la sociologie des usages : la diffusion, l’innovation et l’appropriation qui fait l’objet de la deuxième partie du texte, publiée ultérieurement.

Résultats


En se basant sur une recension des écrits, l’auteur propose un certains nombres de définitions conceptuelles centrales à la sociologie des usages. D’abord, la notion d’usage qu’elle définit comme suit : l’usage renvoie à l’utilisation d’un média ou d’une technologie, repérable et analysable à travers des pratiques et des représentations spécifiques et l’usage devient social dès qu’il est possible d’en saisir, parce qu’il est stabilisé, les conditions sociales d’émergence et en retour, d’établir les modalités selon lesquelles il participe à la définition des identités sociales des sujets (1998, p.4).

Millerand présente le concept central de déterminisme technique, selon lequel la technique a un caractère prescriptif sur les usages et les pratiques. En d’autres mots, le déterminisme technique implique que les technologies de l’information sont à elles-seules, à l’origine d’un changement de la nature de la société. À cette position s’oppose celle du déterminisme social, selon laquelle les nouvelles techniques ne transforment pas nécessairement la société dans le sens prévu par leurs concepteurs, elles s’intègrent plutôt dans un contexte social où chaque acteur lui donne un sens par ses comportements, refus, détournements, etc. L’auteur souligne que de plus en plus, les auteurs adoptent des positions plus nuancées, reconnaissant tant l’influence du déterminisme technologique que social. À cette opposition entre déterminisme technique et sociologique, s’ajoute la notion de quotidienneté, définie comme un système organisé de pratiques qui, selon la sociologie des usages, joue un rôle primordiale comme terreau véritable de formation des usages. Enfin, sur le plan conceptuel, Millerand relève des études sur la sociologie des usages, trois façons d’approcher les objets techniques qui font l’objet d’usages. D’abord, les recherches dans lesquelles l’objet est appréhendé comme outil, qui conduisent à une conception de l’usage comme une utilisation plus ou moins performante. Ensuite, l’objet appréhendé comme signe social, qui conduit à une conception de l’usage comme l’expression du statut social. Et enfin, l’objet appréhendé comme dispositif, qui conduisent à une conception de l’usage comme assujettissement plus ou moins prononcé à des normes sociales. À ces conceptions de l’objet s’ajoutent les technologies interactives qui viennent complexifier la problématique dans la mesure où elles impliquent une présence continue et active de l’usager, s’inscrivant ainsi en rupture avec le modèle de la réception propre aux médias traditionnels.

Une fois se débroussaillage conceptuel complété, Millerand se concentre sur deux des approches théoriques qui ont marqué l’histoire de la sociologie des usages : la diffusion et l’innovation. Elle observe d’ailleurs un déplacement de l’intérêt centré sur la technologie, vers les usagers.

Diffusion

Cette approche s’intéresse tout particulièrement à la notion d’adoption, donc à la façon dont les innovations technologiques pénètrent le tissu social, au moment de sa diffusion. Selon cette approche, l’adoption est perçue comme un processus caractérisé par plusieurs phases, depuis la première exposition de l’usager à l’innovation, jusqu’à la confirmation ou le rejet. On attribue à Everett Rogers (1962) le statut d’auteur fondamental de l’approche de la diffusion, notamment pour sa contribution à l’opérationnalisation conceptuelle de la diffusion des innovations. Rogers propose en effet, une courbe du phénomène d’adoption selon laquelle le profil des adoptants passerait d’un groupe restreint et marginal à un groupe plus large pour ensuite d’entendre à la population en général. Les cinq phases du modèle de Rogers sont : la connaissance, la persuasion, la décision, l’implantation et la confirmation. Il propose d’ailleurs un profil type des adoptants qui est déterminé en fonction de variables sociodémographiques classiques (âge, le sexe, la profession, le revenu, la taille de la famille, etc) : les premiers utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et les retardataires. Les méthodologies de recherche favorisées par cette approche sont essentiellement quantitatives et se présentent souvent sous forme d’enquête avec utilisation de questionnaires.

Le modèle de la diffusion, quoi qu’il ait grandement contribué à l’opérationnalisation de la façon dont se déroule l’adoption de nouvelles technologies, a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment le caractère pro-innovation de l’approche, en particulier en accordant une valeur à certains types d’adoptants : précoces versus retardataires. La deuxième critique principale de l’approche de la diffusion est le fait de considérer l’innovation comme un projet achevé au moment de sa diffusion, impliquant une passivité des usagers qui ne sont que des réceptacles du fait accompli et le fait qu’une fois que l’innovation est achevée, elle est utilisée telle que prévu par ses concepteurs et n’évolue pas. Ce qui nous amène à une lacune sur le plan méthodologique, du fait que les usages observés sont souvent les usages déclarés qui peuvent varier des usages effectifs. Enfin, toujours sur le plan méthodologique, l’appréhension des usages en fonction de variables sociodémographiques classiques pour créer des profils d’utilisateurs sont souvent insuffisantes, surtout dans le contexte actuel où les innovations sont versatiles et en évolution rapide.

Innovation

Millerand regroupe sous le label de l’innovation, l’étude des processus d’innovation technique au moment de la conception. Parmi les auteurs clé de cette approche, Millerand cite Flichy (1994, 1995) et Akrich, Callon et Latour (1988). Ce courant de recherche s’intéresse principalement à la dimension sociale de l’innovation technique et au jeu d’interactions des divers acteurs qui participent à l’élaboration de l’innovation. Dans le cadre de cette approche, le processus d’innovation est défini comme une succession d’épreuves et de transformations où une série d’acteurs (humains et non-humains) se trouvent en relation. Akrich, Callon et Latour du Centre de Sociologie de l’Innovation de l’École des Mines de Paris ont notamment développé une théorie de la traduction pour représenter le processus qui conduit de l’invention à l’innovation, caractérisée par une série de confrontations. La notion de médiation y est donc centrale. Parmi les approches méthodologiques favorisées par ce courant : les techniques ethnographiques de suivi de l’innovateur au travail ainsi que l’analyse de discours. Une des principales limites de l’approche de l’innovation est son absence de considération du rôle des pratiques des usagers sur le façonnage de l’objet technique. En d’autres mots, une fois que l’innovation est devenue objet de consommation, on cesse de s’y intéresser.

Discussion : pistes de réflexion


Bien que l’objet des recherches dans le champ de la sociologie des usages se soit déplacé de la technique vers le social, l’approche de la diffusion offre des clés conceptuelles non-négligeables, qui malgré leurs lacunes, permettent de schématiser et de réfléchir le processus d’adoption.

Ceci-dit, si une meilleure compréhension de l’évolution de la sociologie des usages permet de réfléchir les processus d’adoption et d’innovation, ces approches ne semblent pas fournir les outils nécessaires, à tout le moins, pas en totalité, pour comprendre les phénomènes actuels à l’ère du Web 2.0., où les usagers sont générateurs de contenu et où les outils techniques sont fréquemment mis-à-jour.